La sélection est dans l’escalier N°13

Quelques conseils de l’équipe de l’Orange bleue en cette période de confinement.

coupsdecoeurQuelques idées de lectures et de livres disponibles sur les étagères de la librairie.

 

Aujourd’hui : pêle-mêle de coups de coeur !

Nanaqui, une vie d’Antonin Artaud, Broyart & Richard

La folie n’est qu’affaire de perspective. En 1937, Antonin Artaud est arrêté en Irlande pour trouble à l’ordre public puis débarqué en France. Dans un état de confusion mentale avancée, sujets à de fréquents accès de crises, l’asile et l’internement seront dès lors son lot quotidien, pendant plus de 9 ans. Mais si l’art a toujours été et restera l’ultime échappatoire des douleurs qui le rongent intérieurement, Antonin Artaud ne se remettra jamais vraiment de cet état de fait, malgré le soutien de ses amis artistes. La faute à un encadrement médical inefficace ou de mauvaises conditions d’internement ? Reste aux lecteurs une œuvre immense – du Théâtre de la cruauté à sa participation comme acteur dans La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer – où résident sans doute les clés d’un monde intérieur trop intense pour le carcan de la réalité. Poète, écrivain, dramaturge, figure du surréalisme, Antonin Artaud est un auteur essentiel du paysage culturel français, considéré par Gilles Deleuze comme la « profondeur absolue en littérature ».
Ce très beau roman graphique nous ouvre autant sur la personnalité torturée de cet artiste hors norme qu’il offre un portrait édifiant des conditions de traitement de la maladie mentale au début du XXe siècle.

L’histoire de la couleur dans l’art, Stella Paul

Cet ouvrage révèle les secrets de la couleur en explorant l’histoire et la signification de cet élément parmi les plus fondamentaux de l’art. A travers le récit fascinant des passions artistiques et des découvertes scientifiques, le langage des couleurs se dévoile en filigrane d’une histoire de l’art encore en cours d’écriture. Des travaux optiques d’Isaac Newton aux théories impressionnistes, de la dynamique de Josef Albers à la métaphysique contemporaine d’Olafur Eliasson, ce livre raconte comment nous utilisons la couleur pour peindre le monde.

Le Chemin des Femmes, Michelle Perrot

Michelle Perrot est une des plus grandes historiennes contemporaines. Ses travaux, pionniers en matière d’histoire sociale, d’histoire des marges, des femmes et du genre, ont puissamment contribué à renouveler la discipline et ses objets. Les trois séquences qui rythment ce volume correspondent à ses thèmes de prédilection : ouvriers, marges et murs, femmes. S’intéressant à travers eux à des figures de dominés, longtemps ignorés par les chercheurs, elle explore les traces à demi effacées de vies ordinaires qui, elles aussi, ont fait l’histoire : celles des ouvriers en grève ou des détenus du XIXe siècle, celles des enfants des rues, vagabonds ou autres Apaches de la Belle Epoque.
Celles enfin des femmes, toujours inscrites dans la diversité de leurs parcours et saisies dans la variété de leurs lieux de vie : la chambre, l’atelier, l’usine, la maison bourgeoise, la rue. Longtemps étouffées ou inaudibles, les voix de ces femmes, ouvrières (« mot impie », selon Michelet) ou autrices (au premier rang desquelles George Sand), militantes ou anonymes, aux corps assujettis ou triomphants, exploités et désirés, sont restituées par la force d’un style singulier.
Toutes semblent se rejoindre in fine dans la figure de Lucie Baud, « révoltée de la soie », meneuse de grève en Isère et inspiratrice de Mélancolie ouvrière, saisissant livre-enquête ici reproduit en intégralité. Michelle Perrot a elle-même assuré la sélection, l’agencement et la présentation des textes retenus, portant un regard résolument lucide et personnel sur plus d’un demi-siècle de recherche et d’engagement. Ce volume permet d’en mesurer toute l’ampleur.

Le tigre des neiges, Akiko Higashimura

Et si Kenshin Uesugi, puissant seigneur de guerre ayant vécu durant l’époque Sengoku, au XVIe siècle, était en réalité une femme ? La mangaka Akiko Higashimura part de cette théorie existante pour nous proposer un manga historique relatant la vie de ce stratège hors pair surnommé le « Tigre d’Echigo ». L’histoire commence en 1529, à la naissance du troisième enfant de Tamekage Nagao, seigneur du château de Kasugayama. Son fils ainé n’ayant pas l’étoffe d’un guerrier, Tamekage veut faire de ce dernier-né son héritier, mais à son grand désespoir, c’est une fille qui naît. Il décide alors de l’élever comme un garçon et le nomme « Torachiyo ». Véritable garçon manqué, Torachiyo va grandir dans un petit château des montagnes, sans savoir quel incroyable destin l’attend…

Frères sorcières, Antoine Volodine

Dans un pays de montagnes et de désert, une petite troupe itinérante est attaquée par des bandits. Bien vite, l’unique survivante est entraînée dans la vie criminelle et sauvage de ses ravisseurs. Trois voix puissantes, toutes liées au théâtre, à la féminité, au chamanisme et à la mort, nous content des aventures violentes et démoniaques, marquées par une sexualité délirante mais aussi par la nostalgie de la déclamation, de la parole et du souffle. Et de la survie coûte que coûte.

La septième fonction du langage, Laurent Binet

« Il a rencontré Giscard à l’Elysée, a croisé Foucault dans un sauna gay, a vu un homme en tuer un autre avec un parapluie empoisonné, a découvert une société secrète où on coupe les doigts des perdants, a traversé l’Atlantique pour récupérer un mystérieux document. Il a vécu en quelques mois plus d’événements extraordinaires qu’il aurait pensé en vivre durant toute son existence. Simon sait reconnaître du romanesque quand il en rencontre ».
Roland Barthes meurt renversé par une camionnette le 25 février 1980. Et s’il s’agissait d’un assassinat ? Dans les milieux intellectuel et politique de l’époque, tout le monde est suspect. Jacques Bayard, commissaire de son état, et Simon Herzog, jeune sémiologue, mènent l’enquête. HILARANT !

Œuvres, Sylvia Plath

Ce volume rassemble la poésie, l’unique roman, les nouvelles et contes, les journaux et les essais autobiographiques de Sylvia Plath. La spécificité du volume est de mettre en valeur les oeuvres de Sylvia Plath par Sylvia Plath, c’est-à-dire telles que l’auteur les a pensées, souhaitées, voulues. Pour comprendre l’intérêt de cette nouvelle édition, il faut avoir à l’esprit l’histoire complexe de l’édition des manuscrits d’une jeune poète qui se donne la mort à 31 ans, en ayant publié de son vivant, outre les nombreuses parutions en revues et dans des magazines, deux livres : un recueil de poèmes Le Colosse et autres poèmes et un roman d’inspiration autobiographique, La Cloche de détresse (récit, sous le pseudonyme de Victoria Lucas, de son expérience psychiatrique à la suite d’une tentative de suicide).
A sa mort, elle laisse le manuscrit d’un autre recueil : Ariel et autres poèmes, et une sélection de 17 nouvelles (choisies parmi quelques 70). On retrouve également des carnets et journaux intimes, de nombreuses lettres, des milliers de pages de poèmes, des œuvres picturales… Un ensemble poétique et artistique qui témoigne d’un talent incontestable. Ted Hughes décide de faire connaître l’œuvre de son épouse.  Mais il opère des choix, notamment celui de remanier Ariel et d’éditer une version expurgée des Journaux.

Journaux, Kafka

Les Journaux de Kafka : voici, enfin, la première traduction intégrale en français des 12 cahiers, écrits de 1910 à 1922, que cette édition reproduit à l’identique, sans coupes et sans censure, en rétablissant l’ordre chronologique original. La traduction de Robert Kahn se tient au plus près de l’écriture de Kafka, de sa rythmique, de sa précision et sécheresse, laissant « résonner dans la langue d’arrivée l’écho de l’original ».
Elle s’inscrit à la suite de ses autres retraductions de Kafka publiées aux éditions Nous, A Milena (2015) et Derniers cahiers (2017). Les Journaux de Kafka, toujours surprenants, sont le lieu d’une écriture lucide et inquiète où se mêlent intime et dehors, humour et noirceur, visions du jour et scènes de rêves, où se succèdent notes autobiographiques, récits de voyages et de rencontres, énoncés lapidaires, ainsi qu’esquisses et fragments narratifs plus longs.
Dans ce battement entre vie écrite par éclats et soudaines amorces fictionnelles, les Journaux se révèlent être le cœur de l’œuvre de Kafka : le lieu où les frontières entre la vie et l’œuvre s’évanouissent. Il est plus clair que n’importe quoi d’autre que, attaqué sur la droite et sur la gauche par de très puissants ennemis, je ne puisse m’échapper ni à droite ni à gauche, seulement en avant animal affamé le chemin mène à une nourriture mangeable, à de l’air respirable, à une vie libre, même si c’est derrière la vie.

Just kids, Patti Smith

C’était l’été où Coltrane est mort, l’été de l’amour et des émeutes, l’été où une rencontre fortuite à Brooklyn a guidé deux jeunes gens sur la voie de l’art, de la ténacité et de l’apprentissage. Patti Smith deviendrait poète et performeuse, et Robert Mapplethorpe, au style très provocateur, se dirigerait vers la photographie. Liés par une même innocence et un même enthousiasme, ils traversent la ville de Brooklyn à Coney Island, de la 42e Rue à la célèbre table ronde du Max’s Kansas City, où siège la cour d’Andy Warhol. En 1969, le couple élit domicile au Chelsea Hotel et intègre bientôt une communauté de vedettes et d’inconnues, artistes influents de l’époque et marginaux hauts en couleur. C’est une époque d’intense lucidité, les univers de la poésie, du rock and roll, de l’art et du sexe explosent et s’entrechoquent. Immergés dans ce milieu, deux gamins font le pacte de toujours prendre soin l’un de l’autre. Romantiques, engagés dans leur pratique artistique, nourris de rêves et d’ambitions, ils se soutiennent et se donnent confiance pendant les années de vache maigre. Just Kids commence comme une histoire d’amour et finit comme une élégie, brossant un inoubliable instantané du New York des années 60-70, de ses riches et de ses pauvres, de ses paumés et de ses provocateurs. Véritable conte, il retrace l’ascension de deux jeunes artistes, tel un prélude à leur réussite.

Agora zéro, Eric Arlix & Frédéric Moulin

AGORA ZÉRO est un court roman écrit à quatre mains, une plongée au cœur de la « nouvelle civilisation » rêvée par les libertariens de la Silicon Valley. C’est aussi une histoire de fantômes : ceux de l’ancienne Athènes, où le procès truqué des stratèges des Arginuses, préfiguration de la condamnation de Socrate, sept ans plus tard, contribua à la défiance manifestée par les philosophes grecs envers leur démocratie, à quoi ils opposèrent une conception déjà « cybernétique » de la gestion de la cité comme des relations entre ses membres.

Une éducation libertine, Jean-Baptiste Del Amo

Paris, 1760. Le jeune Gaspard laisse derrière lui Quimper pour la capitale. De l’agitation portuaire du fleuve aux raffinements des salons parisiens, il erre dans les bas-fonds et les bordels de Paris. Roman d’apprentissage, Une éducation libertine retrace l’ascension et la chute d’un homme asservi par la chair. Prix Goncourt du premier roman 2009. « C’est un homme sans vertu, sans conscience. Un libertin, un impie. Il se moque de tout, n’a que faire des conventions, rit de la morale. Ses mœurs sont, dit-on, tout à fait inconvenantes, ses habitudes frivoles, ses inclinations pour les plaisirs n’ont pas de limites. Il convoite les deux sexes. On ne compte plus les mariages détruits par sa faute, pour le simple jeu de la séduction, l’excitation de la victoire. Il est impudique et grivois, vagabond et paillard. Sa réputation le précède. Les mères mettent en garde leurs filles, de peur qu’il ne les dévoie. Il est arrivé, on le soupçonne, que des dames se tuent pour lui. Après les avoir menées aux extases de l’amour, il les méprise soudain car seule la volupté l’attise. On chuchote qu’il aurait perverti des religieuses et précipité bien d’autres dames dans les ordres.  Il détournerait les hommes de leurs épouses, même ceux qui jurent de n’être pas sensibles à ces plaisirs-là. Oh, je vous le dis, il faut s’en méfier comme du vice. »